Doit-on dire un laque ou une laque ?
Le féminin désigne le matériau brut, le masculin qualifie l’objet laqué, une distinction subtile pour cet art né en chine au XIIIème siècle av. J.C. La fonction première de la laque était de protéger les objets domestiques. Ensuite la discipline s’est codifiée. Des artistes japonais s’en sont emparés pour en faire un art spécifique de leur civilisation. En France, elle connait la splendeur des chinoiseries en vogue au XVIIIème siècle et réapparait sous Napoléon III. Avec l’artiste Jean Dunand, la laque atteint au début du XXème siècle un éclat particulier. Ses décors pour les mythiques paquebots transatlantiques dont le Normandie en font un des plus grands créateurs de l’art déco.
Autour de Marie de la Roussière est rassemblé un groupe d’hommes et de femmes passionnés. Certains pratiquent cette discipline depuis des années. Pourquoi la laque ? Les réponses sont unanimes : sa sensualité, sa douceur inimitable, le mystère de ses surfaces, sa transparence, sa finesse, sa résistance mais également ses nombreuses possibilités d’incrustations et la subtilité des nuances. Tous, ont également conscience de l’exigence de sa technique. La laque demande une rigueur et une patience infinie. « C’est un métier d’art aux règles assez rigides. Le processus est long, méticuleux, peu productif et doit être impérativement respecté parce qu’ il conditionne le résultat final » précise Marie de la Roussière, diplômée de l’ENSAAMA Oliviers de Serre et élève du maître d’art Isabelle Emmerique. Au début, les participants apprennent les rudiments de bases et leurs fonctions, vernis, essences, pigments, colle, blanc de Meudon et à savoir copier, avant de créer.
En chine comme au japon la laque est tirée de la résine du Rhus Vernicifera. Depuis le XVIIIème siècle, il en existe une variante européenne : le vernis gras. Avec des propriétés voisines de la laque végétale, il est beaucoup moins allergène. Mais Il n’en nécessite pas moins tout une chaîne opératoire : ponçage, couches d’apprêt, couches de fond, couches de laque de couleurs, temps de séchage et reponçage. C ‘est un jeu, un va et vient permanent entre les superpositions de couches et le ponçage qui donne à la laque sa profondeur et sa douceur. Claire est penchée sur un panneau décoratif, reproduction d’une odalisque de Léon Baskt, décorateur et costumier des ballets russes. Un travail de longue haleine ou elle incruste de la feuille d’or et s’attache à rendre la flamboyance des couleurs en mélangeant des pigments à la laque.
Collectionneuse et fine connaisseuse des laques asiatiques et européennes, Orathy revernit un bol japonais en bois laqué rouge. Un objet du quotidien alliant le beau à l’utile « Le temps de séchage étant d’une semaine, cela me permet de travailler sur cinq autres pièces en même temps. L’art du laque n’est pas spontané, il faut des années pour se perfectionner, rendre la matière expressive » affirme t-elle.
Pour Rémy adepte de ce medium depuis deux ou trois décennies, ni restauration, ni laque asiatique. Il s’affronte à la matière, à la couleur dans un esprit plus contemporain. Pour enrichir ses laques, il expérimente différentes techniques et procédés : les incrustations de métal, de bambou, de circuits imprimés ou encore la technique de la coquille d’œuf qui, broyée et posée sur une couche de laque fraîche permet d’obtenir des effets craquelés spectaculaires « La laque offre une grande liberté d’invention. Elle adhère sur toutes sortes de matériaux. On peut obtenir des résultats surprenants. Je fais des essais, je tâtonne, prends des chemins de traverse Quelquefois il peut y avoir des impasses que Marie me signale sans rien imposer.» Il dit son émerveillement, sans cesse renouvelé, devant la féerie des reflets sur un laque. On pense alors à cette légende de l’empire céleste : « C’est en voyant le soleil couchant se réverbérer sur la surface dorée d’un étang que les chinois toujours soucieux d’imiter la nature ont inventé le laque ».