Les artistes ont toujours eu un engouement pour le carnet de voyage. Partis en pays inconnu à la recherche de nouvelles émotions, ils ont tenu des carnets de notes, dessiné croquis et esquisses pour garder le souvenir d’expériences, de moments uniques. Le carnet de voyage est le récit visuel et littéraire d’un périple. Il est un art hybride entre art graphique, journalisme, poésie et sociologie et le témoin subjectif d’une époque. Les carnettistes ne nous entrainent pas toujours au bout du monde. Le voyage peut être au coin de la rue.
Itinérant, l’atelier de carnets de voyage animé par Marie-Hélène Plancher « est l ‘occasion, à chaque séance, de découvrir un lieu ouvert ou fermé et d’explorer différentes facettes de la capitale : l‘architecture, les rues, les parcs, les musées, les églises, les gares, les gens aussi. Le terrain de jeu est vaste » dit l’intervenante qui aime arpenter Paris à la recherche d’un petit patrimoine insolite et poétique. Aujourd’hui, le rendez vous est fixé passage Brady, un lieu haut en couleurs surnommé « Little India ». Les carnettistes se retrouvent dans la partie à ciel ouvert, étroite et pavée qui déroule loueurs de costumes et restaurants Tandoori. Ils posent leur siège pliant et leur atelier portatif : feuilles volantes ou carnets, crayons, aquarelles, feutres, stylos, crayons aquarellables, gommes, pinceaux à réserve d’eau. Au fil de l’année, les participants apprendront à associer différents mediums, à mélanger les techniques sèches et humides pour enrichir leur travail.
Dans un premier temps les élèves se prêtent au jeu de la découverte, observent longuement le site, les variations de lumière et d’ombre, abordent l’espace et ses caractéristiques. Puis ils dessinent, réalisent des esquisses sur le vif in situ. « Il ne s’agit pas de reproduire d’une façon fidèle ce que l’on a devant soi, à la façon d’une carte postale mais de donner sa vision du lieu, en explorer les recoins, en saisir un élément particulier, un objet curieux » explique l’intervenante. Dans cette ruelle du passage Brady, ce sera peut être la forme d’un réverbère, une chaise vide derrière une vitre de restaurant, une enseigne pittoresque… Un carnet de voyage retranscrit une atmosphère, des sentiments, des sensations chacun choisit ce qu’il a envie d’évoquer et c’est toujours très subjectif.
Depuis longtemps Anne pratique l’aquarelle, qui saisit les émotions avec une transparence particulière « Seule chez moi, j’avais l’impression de ne plus progresser, je voulais apprendre autre chose. Cette année, le temps peu clément a rendu difficile l’utilisation du matériel. On travaille sans filet, dehors, et il pleut parfois. Le résultat final et les souvenirs des lieux sont influencés par les conditions climatiques. Mais, les dessins fait à la hâte par mauvais temps vont à l’essentiel, sont très spontanés ». Deux bâtiments du passage ont attiré son regard par leur volume, leur échelle, leur détail. Elle en visualise les lignes, apprend à dessiner en perspective. « Parmi mes esquisses, je choisis les plus intéressantes, les colle dans un carnet de voyage et j’écris quelques phrases. Quelquefois une allusion à la météo… »
Grande voyageuse Monique est surprise par ce passage atypique qui offre un ailleurs sans aller très loin. Son croquis suggère deux lanternes et un arbre au loin sur le boulevard. Débutante en dessin elle est là « pour apprendre, se faire plaisir ». Plus tard, elle envisage de réaliser de vrais carnets de voyage « une façon de s’immerger plus profondément dans un lieu, de modifier son regard sur les choses. Car par le fait même de croquer on est plus attentif, on remarque des scènes qui sans cela n’auraient pas attiré notre attention, même dans notre propre ville ».
Véronique a parcouru le monde « à la routarde » et toujours ramené de ses périples des journaux de voyage. Et, c’est naturellement que l’envie lui est venue d’ajouter des croquis aux mots. Pour elle dessiner est un moment intense, une façon de vivre au rythme local; de témoigner des créations, des modes de vies ; de se poser au milieu des gens ; d’engager la conversation et de garder ainsi une trace des lieux mais aussi des personnes rencontrées. « La photo est un instantané. Avec le dessin on donne quelque chose de soi, du temps aussi. Et il permet de traduire le réel plus librement. Les gens autour de vous apprécient de reconnaître un endroit, de se découvrir eux-mêmes sur le papier et quelquefois aussi ils donnent leur avis ». Comme cet homme qui habite le passage et regarde avec intérêt les différentes atmosphères ressenties par les carnettistes.